L’avènement de l’art abstrait constitue l’un des chamboulement majeurs qu’aient connus les mondes de l’art au XXème siècle. Tantôt présenté comme un concept philosophique importé aux domaines de l’art, tantôt définit comme une création ex nihilo, l’art abstrait peine à se faire identifier tant dans ses origines que dans sa définition. Très tôt, les artistes ont ressenti le besoin de faire la distinction entre l’absence de représentation et l’absence d’allusion à la réalité dans l’art non figuratif et improprement dit abstrait.
En réalité les débats autour de l’abstraction ont lieu avant les débuts de l’art non figuratif. C’est au sortir de la guerre, à partir des années 1945 que l’art abstrait, bien loin de faire l’unanimité, gagne en importance. Le centre de gravité de l’art se mue entre Paris et New York, entraînant un certain nombre de changements. Naît alors l’abstraction géométrique, courant constructiviste et très intellectuel qui impose un traitement systématique de la géométrie aux formes picturales.
En réaction à ce courant qui tend à devenir un académisme, l’abstraction lyrique apparaît comme une forme de renouveau de l’art abstrait en proposant de nouvelles conceptions et en définissant ce mouvement comme une forme de langage. Georges Mathieu applique et raffine ses idées en créant un nouveau vocabulaire expressif, proche de la calligraphie.
A la manière de la musique et de la poésie, il considère que l’art abstrait est une nouvelle forme de langage. A l’antique ut pictura poesis (du latin « comme la peinture, la poésie ») se substitue le ut pictura musica, de la fonction référentielle à la fonction émotionnelle, expressive. Quand la poésie se sert des mots pour créer un « langage pur », la peinture se sert alors de la ligne et de la couleur, non plus pour définir les objets mais pour exprimer et susciter des émotions. La question est alors de savoir quel rapport s’établit entre le signifiant (les lignes, les formes et la couleur) et le signifié (les émotions, les symboles et sentiments). La peinture lyrique associe la puissance du geste de l’artiste et son traitement de la matière comme dispensateur de sens.
Porté en Chine par Chu Teh-Chun et en France par Georges Mathieu – qui sera le créateur du terme de ce mouvement – il convient de relever que leurs œuvre expriment souvent une angoisse liée au contexte social de l’époque. La peinture tourmentée et batailleuse de Jacques Germain, ou de Jean Degottex se font l’écho du travail d’isolement chez Jean Miotte, présents dans cette exposition. André Marfaing traite également de cette thématique, mais davantage dans son rapport au geste et à la lumière, ciselé par une peinture noire, où la texture a autant de sens que sa symbolique.
L’isolement, caractéristique du processus d’abstraction serait aussi un moyen de glissement de la fonction référentielle de la peinture vers leur force expressive et émotionnelle.